L’homme
de toute sa vie rêve, à la perfection, de la perfection. Il invente, recrée, et
imagine les conditions de sa perfection qui le rendrait tel un dieu. Les
mutations sociales, politiques et techniques témoignent de cette attention à la
perfection, cette intention de la perfection et cette tension vers la
perfection qui le caractérise. Il pense, pour y arriver, modifier la créature
de sorte à la rendre à parfaite en en extirpant ce qui pour lui semble mauvais.
L’action de création est l’apanage de Dieu et de l’homme. Tout autant que Dieu
l’homme crée. Cependant la nature de cette création pose problème. S’ouvre
ainsi notre problème : la création
est-elle bonne ou parfaite ? Mais qu’est-ce que la création ? l’acte
de la création serait-il exempte de toute corruption ? Toute création ne
porte – t – elle pas en elle-même les germes de sa propre destruction ? En
quoi la création serait-elle parfaite ? N’est-elle pas plutôt qu’une bonne
initiative ?
Les
interrogations posées ci-dessus conduiront notre présente réflexion. Pour se
faire, le cheminer de notre pensée partira d’abord d’une tentative de
définition des concepts, ensuite d’une analyse distincte de la création
parfaite et de la création bonne, pour enfin déboucher sur la problématique de
la création.
I-
Approche
définitionnelle
Dans cette partie nous
allons nous pencher sur le contenu des trois concepts clés qui sont soumis à
notre analyse.
1.
la
création
La
création se définit généralement comme l’acte de créer, d’amener à l’existence
ce qui n’existe pas. Selon le dictionnaire Larousse, la création désigne à la
fois l’action de créer, de tirer du néant et l’ensemble du monde créé. Elle
désigne donc à la fois l’action de créer et le produit de cette action. Dans
cette perspective, juger de sa perfection serait à la fois juger son auteur et
son produit.
Selon
le grand dictionnaire de la Bible, la création est une doctrine biblique qui
attribut l’œuvre de la création aux trois personnes de la trinité et dont le
but, par opposition à celui de la recherche scientifique, est éthique et
religieux[1]. Par ailleurs, toujours
selon le grand dictionnaire de la Bible, elle renvoie au récit de la Genèse
relaté dans le premier chapitre du livre de la Genèse[2]. De cette définition,
notre travail est plus complexe dans la mesure où il devra inviter la raison
dans le domaine de la foi. Il faudra donc ici, peser de la perfection de la
doctrine chrétienne en rapport avec la création.
On
distingue, du point de vue de la philosophie, deux conceptions de la
création. Selon la conception intellectualiste de la création, l’exécution se réfère
à une idée ou à un modèle (conception judéo-chrétienne de la création, et
conception classique de la création esthétique). Pour la conception
volontariste, l’idée de la chose que l’on crée naît et se développe dans le
mouvement même de l’exécution[3]. Selon Alain « les projets ne poussent que sur l’ébauche ».
Du
point de vue psychologique, selon Didier Julia,
« Cette dernière conception correspond mieux à la nature des faits et du
point de vue théologique, toujours selon lui, elle respecte la toute puissance
de Dieu, qui, au lieu de reproduire un modèle qu’il n’aura pas créé, crée l’idée
en même temps que la chose »[4].
Mais comment comprendre la perfection dans ce
contexte ?
2.
Parfait
Pour
le profane, est parfait ce qui ne souffre d’aucune faille, d’aucun reproche ni
de grief. Mais toujours selon le petit Larousse, il désigne le caractère de ce
qui réunit toutes les qualités ; qui est sans défaut (un travail parfait)
et aussi de ce qui présente toutes les caractéristiques propres à sa catégorie,
à son espèce (ex : un parfait homme du monde). Cela dit, il est difficile
d’attribuer ce trait de caractère à l’Homme, car comme le dit le dicton nul n’est parfait. La perfection serait
donc l’apanage de Dieu.
Selon Wayne Grudem, « la perfection de Dieu signifie que Dieu
possède toutes les qualités les plus excellentes et qu’il ne manque rien à ces
qualités que Dieu pourrait désirer[5]».
Ainsi, l’idée de perfection suppose le deuil d’un manque quelconque. La
perfection n’est donc pas la négation du mauvais, mais de l’insuffisant. Elle
supprime l’idée du désir en ce qu’en elle se posent toutes les qualités
désirables. La conséquence en est qu’une chose peut être parfaitement mauvaise
(si elle présente toutes les caractéristiques du mauvais) et un désir peut être parfait ( s’il présente toutes les
caractéristiques d’un désir). Le parfait n’est pas à confondre avec le bon.
3.
bon
Est
bon, généralement, ce qui est agréable, plaisant, satisfaisant. Il renvoie
aussi à ce qui présente les qualités requises par sa nature, sa fonction, sa
destination (un bon pasteur, professeur etc.). Il renvoie aussi à ce qui est
conforme à la norme, à la morale (une bonne action, un bon travail etc). À la
différence du parfait qui ne souffre d’aucune contestation, le bon à une valeur
subjective et ne peut par conséquent pas constituer une fin en soi. Une chose
bonne peut se bonifier davantage jusqu’à être parfait. Le bon est une étape
intermédiaire, acceptable. Mais il est sujet à la mutation, au changement.
Après
ce passage en revue des mots-clés de notre travail, analysons dans le fond, le
problème à nous posé.
II-
Bonne
ou parfaite
Ici nous réfléchirons sur
les mesures dans lesquelles la création peut-être considérée comme parfaite.
1.
la
nature de Dieu
Demander
si la création est parfaite, c’est mettre en question la capacité de l’homme de
la modifier, et soulever en même temps le problème de la théorie Darwinienne et
Lamarckienne de l’évolution ainsi que le fixisme. Mais avant d’y arriver,
analysons les conditions de possibilités de la création parfaite. Premièrement,
nous comprenons ici la création comme l’action
de créer ex-nihilo. Mais la création ex nihilo selon le livre de La Genèse ne
concerne pas la création de l’homme, parce qu’il est créé à partir de la
poussière et à l’image de Dieu.
Dieu
se définie par les qualités telles que
de l’omniscience, l’omnipotence, l’omniprésence, l’éternité, la perfection
etc. partant de là ce qu’il crée ne peut souffrir d’aucune insuffisance. Dans
son omniscience, il sait ce qui était, est et vient et aussi ce qui pourrait
arriver mais qui n’arrive pas, cette large vision des choses dispose toutes ces
actions à la perfection dans la mesure qu’elles atteindront nécessairement le
but. Si son œuvre n’est pas parfaite, alors, il n’est pas Dieu. Dire que la
création n’est pas parfaite, c’est dire que Dieu a manqué son but. Or cela serait
incompréhensible que Dieu se soit trompé. Quand bien même on croirait qu’il se soit
trompé, cette erreur est dans l’ordre des choses qu’il s’est fixé. Comme le dit
St Augustin « La bonté du Seigneur,
au lieu de nous accorder ce que nous souhaitons, nous donne souvent quelque
chose qui vaut mieux[6] ».
Autrement dit, pour juger de l’action de Dieu il faudrait d’abord pouvoir en
comprendre les causes, les objectifs et la manière prévus à cet effet. En tant
qu’humain, il nous est difficile de juger l’action de Dieu. Nous ne pouvons que
nous contenter de ce que Dieu en dit lui-même. Dans le livre de Deutéronome
Moïse dit de Dieu que « ses œuvres
sont parfaites[7] »,
ce qui voudrait dire que depuis la création, Dieu a fait toute chose parfaite.
La perfection ne peut donc faire nombre avec sa nature et ses œuvres.
Toutefois,
si nous convenons que la conséquence de la perfection de Dieu soit la
perfection de sa création, alors nous convenons avec le fixisme qu’il a créé
toute chose parfaite une fois pour toute. Et que par conséquent l’homme ne peut
créer qu’à partir de ce qui est déjà créé, son action est donc une ‘’re-création’’. Cette théorie n’est pas
partagée par la science en général et en particulier par la théorie Darwinienne
de l’évolution. Pour Charles Darwin, le monde tel que nous le voyons aujourd’hui,
est le fruit d’un long processus d’évolution des espèces qui s’est faite par
sélection naturelle. Les plus résistants se sont adaptés à la nature et ont
évolué avec le temps en transmettant à leurs descendants certains très de
caractères qui leur permettraient de survivre à l’impétuosité de la nature. Si
Dieu est (peut-être) au départ de la création de la première cellule – si nous
faisons abstraction du big bang – la suite de la création et l’apparence
actuelle de la créature ne sont point son œuvre. Sa création initiale n’est donc
pas parfaite, mais elle s’est bonifiée avec le temps et les circonstances. Pis,
la création n’est ni l’apanage de Dieu, ni parfaite.
Il est donc évident qu’on ne peut se prononcer
sur la création de Dieu et mettre en cause sa perfection sans frôler le
blasphème. Cela dit l’on peut aisément analyser la nature de la création
humaine.
2.
la
nature de l’homme
Selon
Baruch Spinoza l’homme est sujet au mal de trois manières : le mal moral
qui est le péché, théorie sur laquelle il rejoint St Augustin ; le mal
physique qui est la douleur et le mal métaphysique qui est l’imperfection. Ce dernier type de mal
qui le transcende et sur lequel il n’a aucun pouvoir, influence nécessairement ses
actions. Depuis la chute originelle, l’homme n’est capable d’aucune perfection.
A son niveau l’action de création ne
peut être parfaite que dans la mesure ou elle est imparfaite, car c’est ainsi
qu’elle coïncide avec sa nature, son essence. L’homme n’étant donc pas parfait
à cause du péché et de sa nature imparfaite, ne peut s’accoucher d’œuvre
parfaite. C’est d’ailleurs ce qui justifie sa quête de la perfection. Dans
cette quête, il se fait maître et possesseur de la nature, comme le dit
Descartes, par la connaissance de
« La force et les actions du feu, de l’eau, de l’air, des astres, des
cieux et de tous les autres corps qui nous environnent aussi distinctement que
nous connaissons les divers métiers de nos artisans, nous les pourrions
employer en même façon à tous les usages auxquels ils sont propres et ainsi
nous rendre comme maîtres et possesseurs de la nature[8] ».
Descartes
conseille donc que l’homme utilise à la perfection, la parfaite création de
Dieu pour en être comme le
gouverneur. Cette assertion cartésienne démontre comment malgré tous ses
efforts l’homme ne peut qu’être apparemment parfait, mais jamais vraiment
parfait.
Si
l’homme en tant que création ne peut atteindre la perfection, ne peut-il pas
cependant s’en approcher en devenant bon ?
3.
La bonne création
Plus
haut, nous avons dit que le Bon était une étape intermédiaire vers la
perfection. La création au départ, selon la Genèse était bonne. En témoignent
les versets 3 ; 10 ; 12 ; 18 ; 21 ; 25 du chapitre 1
de la Genèse. Mais au verset 31, au soir de la création, après que Dieu eut
créé l’homme, il vit que cela était très bon. Moïse, n’utilise pas ici le terme
parfait, mais très bon. L’on pourrait tirer de là la conclusion que la création
est bonne et non parfaite car Dieu lui-même ne la reconnais que comme très bonne.
Par ailleurs, l’histoire de Noé nous révèle
que Dieu s’est repenti d’avoir créé l’homme et fut affligé en son cœur[9]. Il est difficile de
comprendre que Dieu regrette sa création. Mais ici, Dieu n’a pas regretter sa
création, mais l’homme qui est une créature de 2ème degré parce qu’il
n’a pas été créé ex nihilo. Il est
juste créé bon, mais pas parfait, alors que la création ex nihilo était quant à elle parfaite. Ainsi, l’homme est créé bon, mais pas
parfait et en péchant, où en souillant la création par ses actions, loin de la
détruire, il la perfectionne car son essence et sa quintessence est de ne pas
être parfait.
Ce
que l’on retient ici c’est qu’il est problématique de se prononcer sur la
valeur de la création globale. Et que pour tenir un tel pari sans courir le
risque de blasphémer, il faut faire un distinguo entre la création parfaite
d’avant l’homme et la création bonne qu’est l’homme.
Au
sortir de notre réflexion il convient de retenir que la création fut parfaite
au moment où Dieu là créa. Cela se justifie par la joie qui animait le cœur de
Dieu à la vue de sa création. Mais avec la chute de l’homme, toute la création
fut ternie par le péché. Et sa valeur baissant, passa du parfait au bon. Elle
est donc à présent bonne, restant ainsi
en perspective. Elle contraint par conséquent
l’homme à un constant effort de perfection. Cependant, l’homme, dans son
imperfection, ne peut se reconnaître une création parfaite. A la limite, la
création de l'homme, à défaut d’être mauvaise est bonne. Mais, même quand elle est mauvaise, la
création de l'homme est par-là même bonne dans la mesure où la perfection de l'homme réside en son imperfection et où l'œuvre humaine trouve sa perfection dans son imperfection.
[2] Op.cit, p 375.
[3] Didier Julia, Dictionnaire de la philosophie, Larousse, France, 2011, p 52.
[4] Ibidem.
[5] Wayne Grudem, Théologie systématique, Excelsis, France, 2010, p 221.
[6] St Augustin, Préceptes et maximes, Victor Palmé, Paris, M DCCC LXXVI, P 470.
[7] Deutéronome 32 verset 4, L.S.
[8] René Descartes, Discours de la Méthode, 1637, sixième partie.
[9] Genèse 6 v 6 L.S.
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