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l'excision en pays Dan: une pratique entre culture, usure et démesure.

Dans mon premier article portant sur l’excision en pays Dan, j’ai passé en revue le phénomène de l’excision depuis sa conception originelle jusqu’à son sens contemporain en mettant en valeur ses implications culturelles. L’objectif était surtout de comprendre la résurgence du phénomène aujourd’hui et de réfléchir sur des mécanismes de d’alternative. J’ai dit à cet effet que dans l’imagerie populaire traditionnelle, l’excision est gage de valeurs culturelles féminines nécessaires à la survie de la mémoire culturelle collective. Mais cette réponse m’a semblée est insuffisante, car elle ne saurait justifier véritablement la résurgence du phénomène de l’excision. Il semblerait en outre que les stratégies adoptées ne soient pas épousées par les communautés. Généralement, il est question de sensibilisation de masse, de proximité, de renforcement de capacité des leaders communautaires qui sont bien obligés d’assister à la dénudation d’un légendaire secret féminin qui jusque-là était l’apanage des exciseuses, des excisées et parfois de leur époux. Cette mise à nue pourrait crée généralement deux effets : l’éveil de conscience et/ou l’endurcissement du cœur voire le sentiment de voir la culture foulée au pied.
L’éveil de conscience est constaté chez des personnes sensibles à la souffrance et convaincues que personne ne devrait, pour quelque raison que ce soit, subir une telle souffrance. Cette catégorie de personne est celle qui ouvre la porte de la communauté au changement. Elles deviennent des caisses de résonance ou des amplificateurs du message des sensibilisations et des relais aux agents communautaires des ONG dans leur entourage. Ces personnes dénoncent les cas d’excision et participent activement au changement de mentalité et de comportement. Elles ne sont pas ignorantes des valeurs culturelles attachées à l’excision. Elles sont généralement des femmes ou des jeunes filles qui ont été excisées et qui en connaissent les conséquences physiques et émotionnelles véritables.
L’endurcissement du cœur se produit chez les personnes conservatrices qui accordent une grande valeur à l’arcane qui couvre l’initiation. Toutes actions visant donc à lever le voile sur des codes ou des institutions initiatiques, crée en eux une fermeture hermétique. Ces derniers ont à cœur le souci de la conservation de la culture et des valeurs morales, éducatives et culturelles liées à l’excision. C’est donc pour eux de la profanation que d’exposer, en public, en face d’un auditoire composé d’homme, de femme et d’enfants, des secrets conservés avec la plus puissante ardeur.
Chacune des deux parties trouve un fondement valable à sa thèse. Cela conduit parfois à des conflits communautaires tel que constaté dans le canton Gampieu où la dénonciation de cas d’excision à créer un conflit interne en 2015. La médiation a été faite par l’ONG Siloé qui y est parvenu fort heureusement. Certaines stratégies utilisées ne sont pas parfois adéquates au contexte culturel de la communauté. D’autres par contre y réussissent bien. C’est le cas par exemple des groupes d’écoute et des focus groupes qui arrachent au public cible la coloration bigarrée, pour l’uniformiser. 
Toutefois, le problème de l’arcane demeure. Pour y remédier, l’ONG Siloé, par exemple, a ciblé la communauté des exciseuses dans l’espoir de les sensibiliser en vue de les dissuader et les reconvertir. Le constat était que ce ‘’métier se transmet de mères en filles et constitue parfois la principale source de revenue de ces familles''. Ainsi, les exciseuses ciblées ont été mise en AGR. Mais elles ont perdu le rang social qui était leur en tant qu'exciseuses, la tentation de rétrograder est donc très grande et malheureusement, certaines succombent.

Aujourd’hui malgré tout, l’on assiste à l’abolition progressive de l’excision. Les gouvernements prennent des mesures en ce sens. Et pourtant, le visage culturel de la communauté ne semble pas reluisant, les divorces sont multiples et il est de plus en plus difficile, pour des filles d’arriver au mariage et encore plus d’y parvenir dans la virginité. C’est comme si la lutte contre l’excision avait libéré une ‘’bourrasque sexuelle’’ : sexualité infantile, les filles-mères, les viols des mineures par des mineurs, la prostitution, etc...  D'autres chemins de réflexion s'imposent: Comment justifier donc que malgré tout, malgré la lutte pour la protection de la femme et de son intégrité physique, le visage de la jeune fille moderne est culturellement et axiologiquement plus triste ? pourrait-on parvenir à contenir cette ‘’bourrasque sexuelle’’ en mêlant tradition et respect des droits de la femme et de l’enfant ? Comment amener au mariage traditionalisme et modernisme pour la cause féminine ?

La question était donc posée. Mais avant de toucher cet aspect des choses, je voudrais, sans faire un galimatias, revenir sur le fondement culturel que nous avons donné à l’excision. Je voudrais faire une mise au point. L’analyse que je fais jusque-là, se fonde sur les causes officielles généralement évoquées, quand on interroge les chefs coutumiers et les responsables communautaires. L’argument le plus évoqué est l’aspect culturel et éducatif que comporte l’excision. Mais nous ne pouvons pas, nous arrêter à ce dégrée d’argumentation. Il me semble en tout cas qu’il reste certaines causes officieuses qui pourraient expliquer que l’excision pose autant de résistance aujourd’hui.  Elles sont peut-être d’ordre politique, économique et mystique.


Politique et science occulte, dans ce contexte se mêlent et s’entremêlent. Il ne s’agit pas de dire que cela soit le cas dans toutes les circonstances.
Mais c’est une piste qui me semble sérieuse et qu’il ne faut pas négliger puisque nous nous situons dans un contexte où le monde est encore enchanté (contrairement au monde occidental qui est désenchanté). Les conceptions du rapport entre l’homme et la nature, le monde visible et invisible sont profondément marquées par l’idée que le diurne ne peut se défaire du nocturne et que, le corps de la femme étant sacré, elle ne peut que produire, dans le monde mystique, de la puissance, du pouvoir… la question que je me pose ici, en fait, est de savoir, à quoi servent les organes qu’on enlève à la femme lors de l’excision. Quelle est leur destination, qu’en fait-on ensuite ?

La réponse reste un mystère très mystérieux (mdr… Bienvenue en Afrique !!!), mais les spéculations vont bon train. Certaines affirment que ces organes sont enterrés ou brûlés, d’autres en revanche, soutiennent qu’ils servent à des pratiques occultes, qui permettent d’accroître le pouvoir (mystique et factuel) de certaines personnes telles que des leaders politiques, des hommes d’affaires, des mystiques de loge etc… Ainsi les organes seraient échangés contre de fortes sommes d’argent. Même si cette dernière prise de position semble indémontrable, elle n’en demeure pas moins plausible. On comprendrait alors pourquoi, certaines exciseuses jettent la pierre sur les hommes politiques des régions pour ce qui est de la résurgence du phénomène. Il semblerait que les organes soient utilisés pour des sacrifices visant à accroitre le pouvoir mystique ou l’aura aussi bien que la bonne fortune dans les affaires. En tout cas, c’est ce qui se dit (je n’en sais rien vraiment). Mais quand bien même ses pratiques seraient prouvées, elles n’annuleraient pas pour autant les vertus culturelles et éducative de l’excision.

La donne change, le problème gagne en épaisseur quand nous y ajoutons les informations que nous venons de donner. Ainsi à la question de savoir comment faire pour réduire voire éradiquer ces pratiques culturelles néfastes, On ne saurait, à priori, quoi répondre. Mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faille pas essayer de trouver des solutions. Je retiens dans tout ce verbiage sur l’excision, qu’il faut d'abord dissocier la pratique culturelle de l'acte de l'ablation qui reste pour le moins ambiguë. Si à l'origine cette dernière avait pour objectif, comme je l'ai dit plus tôt, de marquer l'élite féminine, aujourd'hui, force est de constater qu'elle laisse place à un usage qui détériore l'image culturelle qu'elle incarne. Elle a plutôt tendance à assouvir la démesure d'hommes et de femmes avides de richesses qui se lanceraient, par ce biais et de manière officieuse (comme c'est généralement le cas dans ce genre de pratique) dans un trafic d'organes génitaux féminins.
Pour cette raison même, il serait judicieux, de rejoindre le combat mené pour l'éradication de ce qu'on appelle communément les pratiques culturelles néfastes. Par ailleurs, si je considère la portée éducative qui entoure le rituel de l'excision, il me semble utile qu'une alternative soit trouvée, comme c'est le cas par exemple des APPH[1]. Trouver le moyen d'éduquer culturellement les filles (ainsi que les hommes) sans pratiquer, à la fin du cycle d'initiation, une quelconque mutilation. Une telle approche pourrait faire comprendre aux leaders communautaires l'intérêt pour la conservation de leur culture et pourrait les impliquer davantage dans une lutte efficace contre l'excision.

Du reste, il faut espérer qu'après avoir réussi ce combat, après avoir surmonter le défi de l'excision, la démesure de certaines personnes assises dans des bureaux luxurieux qui a porté cette pratique culturelle à l'usure, ne produise pas un mal beaucoup plus grands et plus dangereux...


[1] Alternatives aux punitions physiques et humiliantes développées pas les O.I telles que Save the children.

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