Ramsès
Boa (pas le Ramsès sur la gravure, mais l'un de ses descendants), philosophe ivoirien, ouvre les portes de sa réflexion dans son ouvrage
intitulé Le pouvoir des origines par
ce fragment du livre des morts des
anciens égyptiens : « L’Hier
m'a enfanté; Voici qu'aujourd'hui Je crée les Demains… »[1].
Ce n’est pas par hasard que le père de la dégaoutique, ouvre ainsi la porte qui
donne sur le chemin de son odyssée à travers les mailles ancestrales. Oui !
Mailles, parce qu’il s’agit bien d’une chaine faite d’anneaux, le cycle de vie
de tout un peuple fait des cycles des vie individuelles de ses enfants. En
clair, le sage dégaoutiseur veut insister sur le doux et léger fardeau, mais oh
combien important que porte chaque africain. Le poids de toute la communauté
passée, présente et à venir, mais aussi et surtout le devoir d’amener le cycle
à son plein accomplissement, de tenir et maintenir la chaîne, la prolonger et l’enrichir…
Bon,
sortons de tout ce blablabla philosophico-spiritualo-mystique (mdr…). Revenons
dans notre français trivial que tout le monde comprend. Ce que je veux te dire
clairement, c’est que le philosophe Boa nous donne une réponse essentielle à
notre question d’aujourd’hui : comment parvenir à répondre à l’urgence de
l’authenticité africaine ? Et la réponse qu’il donne est très simple :
il faut connaitre et reconnaitre la tâche et la fonction qui sont nôtres. Notre
fonction est de vivre et bien vivre, parce que nous avons été enfantés pour la
vie. Mais nous ne sommes pas nés pour vivre à partir ex nihilo comme on veut
nous le faire croire à tout bout de chant. Je ne sais pas pour toi, mais moi j’ai
toujours su qu’il y avait un truc qui clochait, chaque fois qu’on me disait que
je suis maître de mon destin, que je peux devenir ce que je veux, que c’est mon
choix, ma décision qui compte.
Cela a
toujours sonné faux dans mes oreilles. Les anciens égyptiens nous donnent l’information
selon laquelle nous avons été enfantés par ‘’l’Hier’’. Celui qui a fait un peu
de cours de philo et de français, en tout cas celui qui ne dormait pas à ses
cours en terminale, verra que le mot hier porte un h majuscule, et qu’en ce
moment-là, nous ne sommes pas en face d’un simple mot, mais d'un nom propre, d’un être, d’une
personne ou d’une chose plurielle, transcendante, supérieure. Il ne s’agit pas
du simple jour d’hier, encore que cela reste super compliqué puisque, si
aujourd’hui, hier est dimanche, hier, il était samedi et demain il sera lundi
(c’est fou n’est-ce pas ?). Hier n’est donc jamais hier, ou plutôt hier n’est
jamais fixe. Voilà donc la première image : on ne se baigne jamais deux
fois dans le même fleuve ! Hier est donc un fleuve qui coule c’est-à-dire qui
part d’un point A à un point B. Et si, ce fleuve m’a engendré, cela dit
clairement, que dans son lit, baigné par ses flots mugissants et doux, je
navigue du point A vers le point B et par conséquent, je ne peux pas ignorer cette
donnée importante qui donne du sens à ma vie pour dire que je peux devenir ce
que je veux, ou que c’est moi qui compte.
Toutefois,
si hier n’est pas fixe, l’Hier l’est par contre pour chacun de nous, parce qu’il
désigne le passé, l’histoire, la culture, la communauté dans laquelle nous
naissons. Cela voudrait dire quoi ? Bha tout simplement, que nous sommes le
fruit de notre communauté. En tant que fruit, la tâche qui nous incombe est
encore plus grande. « On reconnaitra l’arbre à son fruit ». Le fruit
est donc comme une carte d’identité, par laquelle on découvre l’identité de l’arbre
qui l’a produit. Supposons à présent, en considérant qu’on veuille devenir ce
qu'on veut, que le fruit décide d’en devenir un autre, il produit deux
conséquences majeures : on manquera à jamais l’identité de l’arbre qui l’a
produit et il produira autre chose que ce qu’il est sensé produire comme fruit,
quand il deviendra lui aussi un arbre, il aura ainsi brisé la chaîne et rompu les
mailles.
Bon,
franchement, en parlant de fruit, je ne veux pas te rappeler le goût d'une mangue bien mûre ou juteuse (quoique cela puisse aussi aider à comprendre), mais ce que je veux dire en parlant de fruit c’est que l’authenticité
nous appelle non pas à assumer notre authenticité par la rupture, comme je l’ai
précisé dans le premier texte sur ce thème, mais par l’acceptation de notre
identité, notre nature, notre histoire, par sa valorisation. Voilà ce que nous
dit le premier vers de l’extrait du Livre
des Morts des Anciens Egyptiens que nous avons choisi comme texte de base à
notre présente analyse. Ainsi, la première réponse que nous avons à donner au « comment
y parvenir ? », c’est qu’il faut connaître notre Hier, l’accepter, l’aimer
et le promouvoir sans aucune vergogne. Cela commence par des actes très simples
tel qu’aimer la couleur de notre peau, aimer les vêtements traditionnels de
chez nous (le Gbawoueü, boubou traditionnel Dan, par exemple) et les valoriser, aimer nos mets, notre langue, notre village et nos
coutumes. Ne pas les nier, mais les aimer, ne pas les taxer de superstitions
mais les comprendre et ainsi, les promouvoir.
Deux exemples
retiennent mon attention dans cette optique. Le premier, vous l’avez
certainement deviné, c’est bien le concept philosophique de la dégaoutique du
philosophe Ramsès Boa dont nous avons longuement parlé. L’autre c’est un
mouvement tout nouveau-né qui occupe actuellement les réseaux sociaux. Il
mêle technologie et promotion de la culture africaine. Des jeunes panafricains de 6 pays se sont accordés sous l’initiative de Daniel Oulaï, fondateur du concept de la
grainothèque[2],
pour lancer un hashtag pour la valorisation des produits (tout ce qui est fait
et produit) africains. Ils promeuvent le ‘’made in Africa’’ mais surtout le ‘’made
by Africa’’. Sous la bannière de « #ChezNousCestBon » ces jeunes font
à leur manière la promotion des valeurs culturelles africaines. Rejoindre le
mouvement ne serait pas poser un acte de trop.
Dans notre
prochain texte nous traiterons des deux autres vers de notre texte de base, en
montrant comment en plus de la valorisation du passé glorieux, de la culture et
des produits africains, la prise en compte du présent peut contribuer à la production
d’un futur qui ne nie ni le passé ni le présent, mais les portent et les
accomplie.
[1] Livre des Morts des Anciens Égyptiens,
chap. CLXXIX : Pour marcher de l'Hier vers l'Aujourd'hui, trad. Grégoire
Kolpaktchy, Stock+Plus, cité par Boa Thiémélé Ramsès dans Le pouvoir des origines, p.1.
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