Je veux convenir avec Charles
Péguy, pour ce qui est d’une vision globale de la transition générationnelle
que : « Nous sommes les
derniers. Presque les après-derniers. Aussitôt après nous commence un autre
âge, un tout autre monde, le monde de ceux qui ne croient plus rien, qui s’en
font gloire et orgueil »[1].
Je dirais même presque que nous sommes l’aube de ce monde qu’on dit moderne, au
moins dans le contexte africain. Cela peut paraître ambigüe, d’autant plus que
pour les Etats de l’autre côté, nous sommes encore des nations quasi-barbares et
traditionnelles. Mais chacun porte en lui une part d’ignorance, même pour des
esprits ‘’scientifiques’’ éclairés. Bref, ce qui compte pour moi, dans cette
petite réflexion, c’est un regard introspectif africain, une auto-critique
africaine qui tient aussi d’une sociocritique globale.
Il s’agit pour moi d’avancer
quelques petites thèses sous forme de balbutiements pour dire que nous devons
reconsidérer notre système éducatif pour réorienter le destin de l’Afrique, si
nous ne voulons pas ‘’pleurer’’ comme le font certains conservateurs
aujourd’hui dans l’autre monde. Je le redis, Péguy avait raison en 1910 et a
encore raison aujourd’hui. Si pour lui il s’agissait, en son temps, d’un déni de la République
comme déni de Dieu et vice-versa, pour nous en revanche, il s’agirait plutôt
d’un amour de la modernité comme déni conformiste et non convaincu de la
tradition. Pour dire la chose autrement, le système éducatif ivoirien est à la
base de la crise générationnelle, morale et éducative de la jeunesse
contemporaine. Cette platitude extrême que les anciens ne cessent de reprocher
aux jeunes d’aujourd’hui est en partie dû au système éducatif qu’ils ont
eux-mêmes (anciens) conçu à la fois pour la formation et pour l’éducation de l’ivoirien
type. Justification oblige… Mdr.
Dans ses Conditions de l’éducation, Gauchet bat en brèche l’erreur des
Lumières, c’est-à-dire la thèse de l’invariant anthropologique, qui veut que
l’homme soit naturellement et instinctivement porté vers la connaissance. Cette
soif naturelle et instinctive de la connaissance est appelée Libido sciendi. Ainsi tout le modèle
éducatif s’est donc basé sur le fait que l’élève a une soif naturelle de
connaissance qu’il faut assouvir dans les classes : Erreur
monumentale ! En tout cas c’était vrai jusqu’à hier. Aujourd’hui, on se
rend compte, et c’est la thèse de Gauchet, que la soif de connaissance n’est pas
naturelle, mais elle nait et s’enracine dans certaines conditions. Voici
comment il la formule : « l’appétit
de la connaissance prend sens en fonction d’une certaine configuration
culturelle au sein d’un certain fonctionnement social »[2].
Autrement dit, loin de partir de soi, la soif de connaissance trouve son
sens au sein de la structure socio-culturelle. La culture et le système social
sont donc à prendre en compte dans les conditions de possibilité de la quête de
connaissance. La conséquence en est que l’échec du système éducatif dépend en
grande partie des conditions sociales et culturelles qui l’environnent.
Maintenant, supposons que Gauchet ait raison et faisons l’état des lieux de ces
deux fondements (la culture et le fonctionnement social) dans nos sociétés
contemporaines africaines.
Commençons par le plus évident la
société. Du point de vue du fonctionnement social premièrement, nous le savons,
nos sociétés son calquées sur le modèle démocratique rousseauiste qui, loin
d’être le modèle idéal, est de loin celui qui se pose et s’impose de plus en
plus aujourd’hui. Nous en avons longuement parlé dans nos écrits précédents. Et
je veux souligner le sentiment d’absence qu’un tel système crée, du point de
vue ontologique chez l’africain. Cela justifie que l’ivoirien aura toujours
tendance à substituer sa démocratie originelle de l’unanimité (ou tribaliste si
vous voulez) à la démocratie de la majorité, ou encore à dresser son sentiment
d’illégitimité contre le choix de la majorité. Bref, on a affaire à un jeune
qui est plus porté par un sentiment d’injustice et d’absence que par une soif
de savoir instinctive. Ce qui n’est pas nécessairement mauvais, d’autant plus
que, cela pourrait créer en lui, s’il a une suffisante connaissance de son
passé, une nostalgie des origines, de l’Être et de la Vérité tel que décrit par
François-Xavier Fauvelle et repris par Boa Thiémélé Ramsès dans son Pouvoir des origines. Cela pourrait
conduire s’il est bien encadré à un sursaut d’authenticité et d’affirmation
culturelle et, plus loin, à une vraie liberté.
Deuxièmement,
nous nous trouvons dans un environnement socio-politique particulièrement
hostile et agressif. Depuis 2002, l’environnement socio-politique ivoirien a
marqué la conscience de la jeunesse par des clichés d’atrocités indicibles. A mes
29 ans, je suis encore marqué par les images de mon grand-père qui à 100 ans
c’était fait rouer de coups par des hommes en tenue ou encore mon père qui se
faisait ligoter et injurier par des hommes en armes, les larmes de ma mère et
de mes frères, les cris de ma petite sœur qui n’avait que 2 ans à cette époque. Et moi, j'avais 14 ans. Bref, c’est une période extrêmement traumatisante qui fait naitre en soi deux
sentiments contradictoires : le sentiment de la vulnérabilité de l’espèce
humaine, qui contraint à la peur et à la résignation et celui d’être invincible
qui porte vers la vengeance et qui accroît l’agressivité et l’irrévérence. Un
tel esprit est généralement moins porté vers la soif de savoir que vers la soif
de vengeance, c’est-à-dire, l’extériorisation de toute l’agressivité et la
violence qui ont été intériorisées. Peut-être faut il y voir une des raisons de la
violence en milieu scolaire et universitaire, si on fait l’économie du
sentiment de trahison et de démission de la part des aînés. Maintenant
ajoutons à tout ceci, la précarité des conditions de vie et le seuil de
pauvreté et le taux de chômage et on aura un bon cocktail de désintérêt. Dans
un tel contexte, des études d’une certaine durée, la patience et la calme ne
feront pas monnaie courante. pas étonnant que les universités deviennent comme des prisons de haute sécurité.
Pour ce
qui concerne le fondement culturel, le constat est presque le même. Comprenons
la culture de deux manières. Premièrement, comme ensemble de connaissances, la
thèse de Gauchet pourrait peut-être dire que les formes de connaissances qui
entourent l’individu peuvent créer en lui l’appétit de la connaissance. Mais en
même temps cet appétit extérieur est profondément lié à la culture comme
ensemble de pratiques et habitus historiques, coutumiers et traditionnels du
peuple auquel on s’identifie et c’est là la seconde compréhension que nous
faisons du mot culture. Dans cette perspective, nous remarquons que le système
éducatif actuel manque indiscutablement une grande partie sinon la
quasi-totalité de l’histoire africaine. Ou, peut-être elle ne la traduit pas dans
une perspective africaine. Je veux dire que le savoir transmis et l’histoire
enseigner traduisent assez clairement une certaine négation de l’être africain et
promeut, inconsciemment ou non une aliénation culturelle et un complexe
d’infériorité, pis, un complexe de négation de soi. Les ouvrages de lecture qui parfois
mettait en exergue un pan de l’histoire véritable des peuples sont en train de
disparaître. Je me souviens encore de l’histoire de la reine Pokou et de
quelques autres textes des ouvrages d’anglais et d’espagnol. Mais les cours
d’histoire dont j’ai souvenir, en dehors des guerres mondiales et de la
bipolarisation du monde (qui sont en passant des cours qui terrifient tout
élève de terminale à l’approche du bac, je ne sais pourquoi) sont ceux, un peu
plus ancien portant sur l’impérialisme et heureusement la lutte pour
l’indépendance (Samory Touré, Behanzin, la création du RDA, la loi cadre, la
marche des femmes de Bassam, Gabrielle Agoulvand, Treich Laplène, etc.). C’est
une partie sombre de l’histoire de l’Afrique où tous les grands leaders se font
déportés ou sont tués devant la grande machine infernale, que dis-je, impériale…
MDR…
Quand il y a des actions héroïques, c’est toujours en face du blanc. Cela se présente comme si l’histoire de l’Afrique n’a jamais existé avant l’invasion ‘’civilisatrice’’ ou plutôt ‘’civilicide’’ du Blanc, ou comme si notre bravoure trouvait son origine dans la lutte contre le blanc, autrement dit, sans lui nous ne serions pas braves. Un regard sur le film de « Django Unchained » le confirme aisément. Une l’aliénation culturelle produira deux effets, primo une inculture vis-à-vis de sa propre histoire, deuxio, une acculturation ou un métissage qui finira par faire des aliénés, des ‘’zombies’’ du point de vue culturel. c'est-à-dire des êtres vivants mais culturellement morts.
Quand il y a des actions héroïques, c’est toujours en face du blanc. Cela se présente comme si l’histoire de l’Afrique n’a jamais existé avant l’invasion ‘’civilisatrice’’ ou plutôt ‘’civilicide’’ du Blanc, ou comme si notre bravoure trouvait son origine dans la lutte contre le blanc, autrement dit, sans lui nous ne serions pas braves. Un regard sur le film de « Django Unchained » le confirme aisément. Une l’aliénation culturelle produira deux effets, primo une inculture vis-à-vis de sa propre histoire, deuxio, une acculturation ou un métissage qui finira par faire des aliénés, des ‘’zombies’’ du point de vue culturel. c'est-à-dire des êtres vivants mais culturellement morts.
Or
justement, les caractéristiques du zombie sont l’agressivité, l’abrutissement,
l’a-moralité. En tout cas c’est ce qui marque tout de suite quand on regarde un
film de zombie. Ils ne réfléchissent pas, se jettent avec une agressivité
extrême sur tout ce qui n’est pas zombifié et sont très contagieux, et surtout,
difficile à ''tuer'' (MDR!!!) ou plutôt difficile à guérir dans notre contexte. Sortons de la science fiction et revenons à la réalité. Cela traduit d’une autre manière l’attitude des élèves et
étudiants aujourd’hui. La situation est telle que des colloques et des
séminaires sur l’agressivité en milieu scolaire et universitaire émergent de
plus en plus. L’argument officiel attribut cette agressivité à la politique et
à la manipulation de la jeunesse et des syndicats scolaires et universitaire à
des fins politiques. Au lieu que de faire naître une certaine soif de
connaissance, on note plutôt que l’environnement socio-culturel fait accroître
une agressivité, un déni de l’autorité et des vertus morales traditionnelles.
Je
reviens donc à l’assertion de Péguy, nous sommes à l’aube d’un autre monde,
nous voyons émerger une nouvelle génération, une génération Zombie qui se
caractérise pas une agressivité et une inculture, mais elle est peut-être le
fruit d’un système éducatif défaillant ou plutôt inapproprié appuyé d’un
environnement socio-culturel qui ne favorise pas un véritable changement
qualitatif. Mais que faire ? je n’ai pas la prétention de répondre à cette
question maintenant et de manière définitive. Mais j’en ai déjà parlé dans
d’autres textes, j’ai essayé de faire des propositions. Mais le lecteur
attentif, comme je sais que vous l’êtes, comprendra que ma démarche veut une
reconsidération du contenu des livres d’histoires et de ce qu’on appelait
autrefois ECM (éducation civique et morale). Il faut changer d’époque
historique, remonter dans le passé glorieux et authentiquement nôtre.
Construire un modèle type d’ivoirien qui ait confiance en lui-même et en sa
communauté, qui connaît les commandements de la Maât par exemple et qui sans
perdre de sa fougue l’optimise et lui donne de la qualité. Nous sommes certes à
l’aube d’un autre monde, mais ce monde peut être meilleur que le précédent, et
nous pourrions être les pionniers d’un âge d’or, si aujourd’hui nous sommes
assez courageux. Il faut mettre à jour et dès le bas-âge Hampaté-Bâ, Anta diop,
etc… reconstruire les liens avec notre vrai passé en brisant le mur de mensonge
qui s’est dressé dans l’histoire et qui nous a désarmés.
[1] Péguy C.
Notre jeunesse, Paris, Gallimard,
1957, p 15.
[2] Gauchet,
M. Conditions de l’éducation, Paris,
Stock, 2008. p. 67
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