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Ndheadun à la conquête d’Atopia ou la naissance d'un nouvel héros.


Il est d’une citée des plus modernes, c’est-à-dire ces cités ou on voit se mêler les traces d’un passé qu’on nie, fuit ou dédaigne et ceux d’un futur quasi présent voire d’un présent virtuel. C’est une citée tellement contemporaine que les normes démocratiques semblent s’estomper pour donner place à un régime politique d’un autre âge (à venir ou passé, on n’en sait plus trop rien). Dans cette citée, on voit se marier désespoir et optimisme, pessimisme et rêve pour faire naître un Odyssée sans fin, à la recherche d’une cause incertaine, donc déjà perdue d’avance. Mais dans cette citée, jamais l’espoir n’a été aussi puissant. Tellement puissant qu’il fait braver les flots mugissants des vagues qui s’élèvent entre les terres. Des vagues tellement puissantes qu’elles coupent la terre en deux parts inégales qui sont sujettes à convoitise de chaque côté. Cet espoir qui relève presque de l’indescriptible est à la fois cause et effet de la création d’Atopia[1] la cité aux deux facettes.
Le jour, Atopia est Dikaiopolis[2], ville de justice et d’égalité, de richesse et de bonheur, d’action de bravoure, bref, la parfaite Utopia, la parfaite République. Et là, elle est cause, facteur, moteur d’espoir. Elle rend presqu’invisible la peine et le danger d’affronter Thalassa[3], la grande déesse. Et, pourtant, très loin de ses lits douillets, du miel et du lait qui coulent dans sa fontaine de Jouvence, Anubis[4] s’en donne à cœur meurtri à travailler jour et nuit, dévorant les âmes captives de Thalassa pour les libérer, quand Thanatos[5], à Dikaiopolis, s’ennuie de l’oisiveté et du calme dans ses offices. Dikaiopolis n’est pas visible comme telle de près. Pour l’atteindre il faut un jour, c’est-à-dire, un soleil et une lune, pour être dans son intimité, non pas dans son topos, mais dans sa véritable Utopia. Il faudra, au voyageur, au pèlerin, affronter, pendant la nuit, les trois monstres qui gardent Atopia, devenue Adikiapolis[6] (dans la nuit) : le chien d’Hermès, le requin anthropophage de Thalassa et les mailles des sangsues libertivores d’Europolis.  La nuit donc, Atopia est Adikiapolis, la terrible et sombre Adikiapolis. Seuls les héros osent réussir ce passage nocturne, oui, car il faut oser forcer le passage.

Ndheadun[7] était candidat à l’odyssée. De jour, obnubilé par l’éclat lointain d’Atopia, il ne prit ni drap, ni plat. Dans le silence de la nuit de la veille, sans laisser mot à Abi, sa douce et tendre, ni à Oueu sa mère, il partit, tel un fugitif, honteux de ce qu’il est, à la conquête d’Atopia. Nourrit par des images d’une cité aux milles éclats, d’une sécurité garantit à tous sans inégalité et de l’assurance d’une vie meilleure, il partit de nuit. Pour la traversée, il confia, candide, ses soins à Hermès, le voyageur, le messager des dieux. Comme pour se convaincre de leur présence à ses côtés, il lui fit une confiance aveugle. Hermès le rassurât de la volonté des dieux et des ancêtres, ses pères, ainsi que les milliers d’autres qui entreprirent le même voyage avec lui, avant lui. Et les dizaines de milliers d’autres après lui. Pendant des semaines, ils marchèrent à travers le lit des anciennes mers. La nourriture se faisaient rare et les maladies plus nombreuses. De gauche comme de droite, Anubis faisait le ménage au fur et à mesure que les pas s’enfonçaient dans le sable de la vieille dame chauve.
A cours de nourriture et dans les moments de profonde angoisse, Hermès se revêtait de sa tenue marchande. Le Hermès, dieu des commerçants, des voyageurs et surtout des voleurs déchaine, en ces moments, son chien de compagnie, pour alléger le faix, éliminer les faibles, faire une sorte de sélection naturelle. Certains ne verront donc les lumières d’Atopia que dans les mains d’Anubis. D’autres en revanche resterons dans le pays du grand guide, troqués contre des miettes de pains. Ils sont plus chanceux que ceux qui, visités par Anubis, constitueront la pitance des charognards.
Il n’y plus d’hommes, encore moins d’individus, Hermès est devenus marchand, trafiquant. Ndheadun, comme tous les autres est estimé en valeur marchande. Exhibé sur la place publique comme une vulgaire daba ou un balaie, dans ce marché anachronique qui vient d’une époque qui a été vaincue par des siècles d’histoire et de combat. Bien loin de l’Atopia dont il rêvait, c’est bien une triste Adikiapolis que découvre, dans le crépuscule de la dignité humaine, Ndheadun, héros pour les siens, mais zéro en son sein. Et le souvenir des ouï-dire de lui revenir : « la réalité de l’autre côté frôle parfois l’enfer ».
Mais ce qui, dans cette nuit, lui vient à l’esprit soudainement c’est cette pensée de Huis clos qu’il citait dans ses dissertations au Lycée, sans en comprendre parfois le sens véritable : « l’enfer c’est les autres »[8] ; et cet enfer n’est pas près de finir. Heureusement pour lui, il était préparé à ce voyage, à sa manière. Dans sa besace, il saisit une enveloppe qu’il tend à Hermès. ‘’C’est tout ce qui me reste de la terre de mes ancêtres, des siècles d’histoire et d’identité que j’ai vendue pour pouvoir entreprendre ce voyage avec toi’’, lui dit-il, ‘’prends-le et conduis-moi jusqu’à Thalassa, la grande passeuse. Protège-moi d’Anubis et vis en paix, avec ma bénédiction. Hermès, devenu presque Narcisse, adore avoir de l’ascendant, du pouvoir sur les autres, surtout, sur lui, Ndheadun dont il se nourrit du désespoir, ou plutôt, de l’espoir. Pas la peine de lui dire ce qui se passera par la suite, pas la peine de lui dire que même cette prière ne le sauvera pas. Mais Hermès est avant tout un commerçant et adore voyager. Le deal est fait et le voyage peut continuer.

Quelques chants de grillons plus tard et ils se trouvèrent devant Thalassa, puissante et tumultueuse. Elle est en colère, comme à son habitude. Par ces temps de grand voyage, elle s’est lié d’amitié pour Anubis, on dirait presque son épouse. Hermès fit ses adieux et se retourna par le chemin, chercher d’autres Ndheadun. Ceux qui, comme lui, avaient bien préparé leur voyage se trouvaient aussi là. Au bord de la robe bleue de Thalassa, on se croirait presqu’immortel. Mais elle brisa le silence et leur prononça les paroles de ce qu’elle appelle l’hymne des surhommes :
 « Ceci n’est pas le Styx[9], mais une autre étape de votre voyage. Les voyageurs sont de plus en plus nombreux et les places de moins en moins nombreuses. Et pourtant, je vous dois tous porter jusqu’à Europolis. Mais ne vous y trompez pas, Atopia est bien là-bas, et Dikaiopolis aussi. L’une dans l’autre, elles vous rassasieront. Mais avant, il faudra braver la furie des maîtres de ces lieux. Je sais cependant qu’au stade ou vous en êtes, la mort n’ai qu’un gain, pour vous, car vous êtes déjà morts à vous-mêmes et aux vôtres. Tels des zombies, vous êtes contaminés par le virus du rêve. Rêvez, ajouta-t-elle, car voici la nuit s’avance et que ses flots vous menacent tous, feuilles mortes du vieux baobab, vous avez été reniés, que dis-je, vous vous êtes reniés comme fils de Kemeth[10], vous êtes vides de tout, légers comme des feuilles mortes ». Pendant ce temps, on entendait se joindre à ses rhapsodies le fracas des coques de la pirogue qui se pliaient sous la rage des larmes féroces de Thalassa qui se jetaient contre elles… et Thalassa de poursuivre, « c’est ici la fin du voyage pour les plus faibles, ce dont l’histoire, trop molle s’arrête, ceux qui n’ont plus d’ami qu’Anubis, ceux que même Mâat[11] ne saurait défendre. Ils participeront au dîner de mes Chers (requins), ceux qui privent ce monde de la dépouille des amoureux d’Atopia. Viens mon ami, mon cher ami Anubis, viens te rassasier de leur os et de leur chair, leurs âmes sont damnées, loin du lieu qui les a vu naître ». Pris soudain dans un violent tourbillon, Ndheadun s’endormi, disputé par Anubis et Morphée[12].
 Heureusement pour lui, Morphée triompha cette fois d’Anubis et le prit dans ses bras. S’en était fini de Thalassa. Elle avait fini de jouer sa partition. Ses notes parfaitement harmonisées avaient enivré plusieurs dizaines d’entre eux, qui participant au souper des dieux, n’ont pu guérir de l’ivresse du Nectar. Mais lui, Ndheadun était en vie, réveillé par un vent du matin. Il se trouvait là, vivant, à la porte d’Europolis, le regard vide, le cœur surpris de ne pas être heureux. Et pourtant, c’était là, la fin du voyage. Le jour s’était levé et Atopia était redevenue Dikaiopolis, la ville aux mille éclats. Il vit des hommes, les salua en frère, avec un sourire forcé et un regard rassuré. Il se disait tout bas dans son cœur, J’y suis parvenu Abi, j’y suis parvenu, je vais pouvoir te couvrir d’or, tu seras rassasiée d’argent et ton pagne ne déteindra jamais. Tes fils seront toujours chaussés et la fumée ne disparaîtra point du toit de ta case. J’y suis parvenu Maman, tu peux être fière de moi. Fière de ton fils. Tu pourras chanter avec joie que tes derniers jours seront heureux, tu pourras dire à ta rivale que tu as un fils derrière le fleuve… Je suis un homme, et un vrai, se disait-il quand il reçut une décharge électrique dans le dos. Il fut traîné jusque dans une pièce sombre, infestée de sangsues. On l’y jeta, l’enferma et attendit qu’il se réveillât. A son réveil, on lui jeta pardessus la geôle un morceau de pain, le traitant de terroriste et de danger pour les habitants d’Europolis, ont lui fit comprendre qu’il aurait valu pour lui qu’il restât chez lui, car le calvaire ne fait que commencer. Après avoir passé des jours dans ces lieux immondes, il lui arrivât les nuits de perdre quelques larmes en disant en son cœur, que n’aurais-je donner pour te serrer dans mes bras Abi, ma gazelle, que n’aurais-je donné pour revoir ton sourire maman. Que n’aurais-je donner pour que tout ceci ne fût qu’un rêve ! Mon enfer ce soir c’est votre absence à mes côtés[13].
Que n’aurais-je donné pour rentrer à la maison, que n’aurais-je sacrifié !
Cette nuit il s’est endormi, tel le héros qu’il est aux yeux de Thalassa, recueilli par Anubis pour un autre voyage. Celui dont on n’a jamais conscience. Et ni Abi, sa belle épouse, ni Oueu sa bonne mère ne sauront jamais rien de la fin de son histoire. A Europolis, il n’est qu’un autre migrant de plus, n’ayant que ce nom pour histoire.


[1] A (absence) Topia, de Topos (lieu) : un lieu qui n’existe et n’existera nulle part.
[2] Dikaiosounê (justice en grec) et polis (vile, cité) : cité de la justice et des droits.
[3] La mer en Grec ancien
[4] Dieu Egyptien de la mort
[5] Le mort ou le dieu de la mort dans la mythologie grecque
[6] Adikia (injustice) polis (cité, ville) ville de l’injustice.
[7] Enfant de ma mère (mon frère/ ma soeur)
[8] Huis clos, Jean Paul Sartre.
[9] Fleuve qui sépare les deux monde (vivant/mort)
[10] Ancêtre des Africains noirs.
[11] Déesse égyptienne de la vie et de l’équilibre social
[12] Dieu de la nuit, le sommeil
[13] L’enfer c’est l’absence des autres, l’enfer c’est la fermeture aux autres (Roger Garaudy), Parole d’homme.

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