Je suis Awounto, j’ai 16 ans.
Ma vie s’est arrêté quand ma mère s’en est allé, chez les ancêtres. Je n’ai
d’elle que deux souvenirs : ses chants et cette robe qu’elle m’a offerte
pour mon douzième anniversaire. Je n’ai que ces chants à la bouche, ils me
donnent de la vie et de la force quand mon père, après plusieurs verres de vin,
déverse sur moi sa colère… Et aussi Wadhé, la femme du chef qui me traite
partout de sorcière.
Maman, elle, me disait que je
suis une princesse, sa princesse et je n’ai jamais perdu le rêve de le devenir.
Parfois ce n’est pas facile quand à cause de mon bras ‘’sec’’ les regards sur
moi m’accusent et me condamnent. Dans ces moments-là, les chants de maman me
permettent de la retrouver à mes côtés, de me dire que chaque matin le soleil
se lève pour tous les hommes et tant qu’il brillera aussi sur moi, je sais que
je serai un jour, moi aussi, une princesse. Pour trouver la paix, avoir un
petit moment de bonheur à moi toute seule, je m’évade parfois dans la savane
pour contempler la nature, dans ce qu’elle a de beau. Et aujourd’hui, elle
semble particulièrement belle.
…
Un coucher de soleil habituel
qui arrose de splendeur les baobabs qui au garde-à-vous bordent la route. Le
ciel vide et pur embellit le chant des calaos. Sur la voie silencieuse qui
serpente entre les baobabs centenaires, mes pas si jeunes troublent le sommeil
des ancêtres. Je l’ai revêtue, cette robe qu’elle aimait tant, comme pour lui
plaire, comme pour me sentir belle et normale comme les jeunes filles de mon
âge. Mais c’en est pas assez, quoi que je fasse, ma main reste sèche et mes
lèvres aussi. Mais je dois m’oublier et profiter du moment exceptionnel que
m’offre la nature.
L’endroit
est tellement plein de sens, il est parfait pour redonner vie, et me donner du
charme, au milieu de ces soldats géants qui ont vu naître et mourir des reines,
sur cette voie magistrale qui mène au ciel. C’est le lieu de mon intimité avec
elle (maman), là où le temps s’arrête, ou l’écho du chant des calaos apaise le
cœur qui peine, c’est mon lieu tout à moi. Mais hélas, comme à son habitude
aucun appel. Je patiente, impatiente, sur cette voie qui semble ne mener nulle
part, au milieu de la savane qui meurt de honte devant ma ‘’laideur’’.
Que n’aime-t-elle pas ?
Est-ce ma main qui déplait, ma voix qui dérange, ma robe qui répugne tant pour
que personne ne vienne, pour que personne ne m’aime ? Même pas les baobabs,
les ancêtres, et ni même elle ?
C’est donc une perte de temps
que de vouloir leur plaire, que de vouloir plaire tout simplement. Une perte de
temps. Mais qu’avais-je de mieux à faire ? Je ne suis qu’une ombre de
moi-même… en tout cas c’est ce que tout le monde me dit, c’est ce que disent
les voix dans mon souvenir…
Peut-être qu’il faudrait rentrer. Finalement,
murmuré-je en moi, peut-être que je ne suis pas faite pour cette vie-là,
peut-être que je ne suis pas faite pour la vie tout simplement… L’accusation en
moi est telle qu’il me vient une envie de répondre. Une envie d’accuser à mon
tour, de trouver un coupable, une envie de condamner. Et ce lieu est l’endroit
parfait pour le faire, pour la faire taire. Terre et ciel, morts et vivants,
humains et animaux s’y retrouvent dans une parfaite symbiose ; de parfaits
témoins, ou peut-être, de parfaits jurés. Il me faut, dans tous les cas,
accuser quelque chose, ou quelqu’un peu importe, mais il faut un coupable. Qui
serait-ce donc ? Lui, mon père, qui après une soirée arrosée s’abattait
sur moi… ou eux qui sans me connaitre me condamnent, ou peut-être… Maman.
Pourquoi m’a-t-elle quitté si tôt, me laissant seule ici dans ce monde ?
Et pourquoi pas moi ? pourquoi ne pas tout arrêter ici et
maintenant ?
Je le pourrais certainement, je le pourrais si
j’en avais la possibilité, mais je n’ai qu’une seule main valide. L’autre ne me
sert pas à grand-chose. On ne me l’a jamais tenue avec tendresse, avec désir,
non. Je me sens comme une demi femme, la moitié de quelque chose, un vide
au-dessus de l’eau. Je ne peux même pas me convaincre d’être Awounto, la fille
de la belle Singa, celle dont le nom disait l’éclat de l’or et du diamant. Les
jeunes hommes pourraient-ils poser sur moi un autre regard ? pourrais-je
moi aussi connaitre le bonheur de l’enfantement ? ma vie n’est qu’un Aujourd’hui
sans Demain, une vie sans lendemain.
Pendant que ces mots me montent
à la tête, je sens mes joues s’inonder de larmes, mes paupières battre sans
arrêt. Je me suis assise sous le baobab le plus proche, en face du soleil
couchant que je regarde, silencieuse…
Ce silence me berce… j’observe les papillons qui
se cherchent un toit pour la nuit… le bousier qui, comme moi, traîne son
éternel fardeau. Les oiseaux dansent en couple, battant des ailes, la danse du
soir, en apportant la dernière ration du jour aux petits, et moi, je suis seule,
esseulée, solitaire... Les grillons préparent déjà l’orchestre nocturne. Mais quelle
chorégraphie est-ce ! Je me fonds dans ce décor pour profiter de ces
petits êtres qui ne remarquaient pas ma présence, ces petits animaux qui
toléraient et acceptaient ma présence. Peut-être est-ce parce qu’à ce moment
précis, je suis comme eux : juste une partie de la nature sauvage.
Cela me rappelle une chanson que chantait ma
mère quand nous rentrions des champs. Je ne me souviens plus distinctement des
paroles, mais je me souviens qu’elle magnifiait la nature en disant en somme
que chaque être de la nature est la partie animale de l’homme… Mais quelle
mélodie étais-ce déjà ? Je l’ai au bout des lèvres, et pourtant elle
m’échappe. C’est drôle, quand il faut renouer avec le passé, il nous échappe,
surtout quand c’est un passé vêtu de beauté…
Pourtant j’ai sur le coup une étrange sensation
comme une vive soif de chanter, de suivre la mélodie que me murmure mon cœur…
comme si le baobab contre lequel je suis adossée me tenait, main tenant, tel un
père murmurant une berceuse… Ce père aux bras chauds et forts, ce père que je
n’ai pas eu, ce père qui malgré sa présence me manque…
Les murmures de mon cœur m’appellent, de manière
pressante, à chanter, à murmurer la mélodie, à me laisser conduire par elles,
vivante et pleine, épanouie et belle. Pour je ne sais quelle raison, je me
laisse aller… et je fredonne la mélodie que dicte mon cœur, devant le calme et
la beauté de la nature.
Je me sens bien, belle, saine, sainte… Parfaite.
Je sens l’air me palper comme portée par le vol des pélicans. Le silence porte
vers les cieux l’écho de ma voix… Je suis tellement comblée que j’en oublie de
dominer ma voix.
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